Chapitre 1 - Traversée de la limite
Dans une minuscule cuisine du village Boubois, un jeune Humain et une vieille Bou cuisinaient ensemble.
— Peux-tu m’apporter quelques fruits séchés, s’il te plait, Élios ? lui demanda la vieille Bou en touillant un saladier sur un plan de travail.
À la morphologie humaine, elle présentait des symbioses avec des attributs végétaux. Les siens — comptant son masque en bois naturellement attaché à son visage — étaient flétris. Petite, elle était tassée par l’âge et quelque peu ankylosée ; ses traits étaient usés par le temps.
— Pas de soucis Achraëlle, je m’en charge ! lui répondit Élios.
Avec des traits d’adolescent et habillé de vêtements artisanaux, il présentait un nez bien dessiné, un regard perçant, des sourcils plutôt épais et des yeux verts. Ses cheveux bruns lui tombaient un peu plus bas des oreilles.
Élios traversa la cuisine. Entre quatre murs en duramen, tout y était naturel, que ce soit le plancher en bois clair, les étagères, les pots d’argile, les paniers d’osier, les plantes décoratives, le four en terre cuite, l’évier en pierre taillée, les plans de travail en bois vernis ou autres encore. En son fond, il descendit une échelle et arriva dans un garde-manger sombre, éclairé seulement par une torche. Ils s’y entassaient des cagettes et des sacs alimentaires entre et sur des étagères, de grosses caisses ou des futs en bois.
C’est soudain que, dans un coin de ce garde-manger et sur l’une de ces caisses, ait commencé à apparaitre en position assise une forme humaine à peine perceptible.
— Pas maintenant ! l’implora Élios en chuchotant.
Celle-ci disparut totalement et, comme si de rien n’était, Élios récupéra un sac de fruits séchés qu’il remonta auprès d’Achraëlle. Elle l’ouvrit et en incorpora le contenu dans une pâte liquide qu’elle préparait à l’intérieur du saladier. Elle mélangea à l’aide de son fouet qui se métamorphosa soudainement en une cuillère qu’elle porta à sa bouche.
— Parfait ! dit-elle en goutant. Nous n’avons plus qu’à l’enfourner et le gâteau sera fin prêt !
Ce qu’ils firent.
— À présent, Élios, tu dois finaliser tes affaires, conclut-elle.
Des larmes montèrent aux yeux de chacun et ils s’enlacèrent.
— Tu vas beaucoup me manquer… se confia Élios à Achraëlle.
— Et toi donc… Ton départ imminent de Boubois me peine profondément… Heureusement qu’il ne devrait pas être long et que tu pourras revenir. J’espère que l’on profitera bien de nos derniers moments ensemble lors du piquenique de ce midi.
— J’espère aussi, soutint Élios.
Achraëlle libéra Élios qui la laissa.
En quittant la cuisine, Élios arriva dans un hall très spacieux en hauteur et qui était décoré avec gout. De belles sculptures en bois étaient disposées sur le parquet clair et des plantes en pot étaient suspendues sur les murs et entre des torches. Au centre siégeait un beau et grand bureau où était assis un vieux et petit Bou. Il présentait des branches courtes et peu ramifiées qui poussaient sur sa tête ainsi que, tout comme Achraëlle, des attributs végétaux et un masque flétris par la vieillesse.
— Ah, Élios ! le perçut le vieux Bou en relevant sa tête du bureau. Viens vers moi un instant.
— Oui, Karachrâm ? s’enquit Élios auprès de lui.
— J’ai une chose à t’offrir… avança Karachrâm en se levant de sa chaise.
Il alla vers une armoire confectionnée avec de splendides courbures et de bois noble. Il tâta au fond de celle-ci avec ses mains, puis les ressortit en tenant une petite boite qu’il apporta vers Élios et qu’il lui montra. Entièrement faite en bois, elle était plate et de forme carrée. En la regardant, Karachrâm avait les yeux humides. Il semblait très ému de faire ce cadeau à Élios et de s’en séparer.
— Prends-la et regarde dedans.
Élios la saisit, l’ouvrit puis s’émerveilla du contenu.
— Comme tu peux le voir, c’est un jeu des prises, présenta Karachrâm.
— Je l’ai reconnue, mais je suis surpris de la composition de ses éléments, avoua Élios. De quoi sont faites ces pièces ? Je n’ai jamais vu de tels matériaux !
— Oh, ces pièces-là sont en carton, ces pions-là sont en plastique, et ces sachets qui les comportent également. Ce sont des matériaux qui étaient très courants durant les Temps Anciens.
— Ce jeu provient donc des Temps Anciens ? s’étonna Élios.
— Oui, c’est bien cela ! C’est un objet unique, il s’agit de la toute première conception finalisée de ce jeu. Aujourd’hui, je ne te cache pas que m’en séparer me peine, mais j’insiste tout de même pour te la donner. Après tout, tu es plus légitime que moi à la posséder…
— Comment ça ? demanda Élios, intrigué par cette dernière phrase de Karachrâm.
Mais Karachrâm, essuyant quelques larmes sur son masque, ne répondit pas.
— Allez, va mon enfant ; il te faut préparer tes affaires. N’oublie pas de placer cette boite dans ton sac. J’espère qu’elle te fera penser à nous les Bous qui aimons si bien y jouer.
— Entendu, n’insista pas davantage Élios.
Il remercia Karachrâm en s’inclinant puis le quitta en emportant avec lui la boite. Il emprunta un escalier qui le mena à un étage ouvert sur le hall, protégé par une charmante balustrade composée de branches blanches entortillées. Là, il emprunta une porte et arriva dans une chambre, la sienne.
Très douillette, cette chambre était entièrement composée d’éléments végétaux. Le sommier du lit et les différents ameublements étaient de même manufacture élégante que celle de l’armoire dans le hall. Quant au matelas sur ce lit, il s’agissait d’un amas de mousses mélangées entre elles.
C’est sur ce lit que commença à apparaitre une nouvelle fois devant Élios une forme humaine. Il vit s’incarner devant lui un jeune garçon d’apparence jumelle à la sienne, à la différence qu’il présentait des cheveux châtain clair au lieu de bruns et des yeux marron au lieu de verts. Élios ne semblait pas surpris par l’apparition de ce garçon.
— Lucifer, l’idée de devoir quitter Achraëlle et Karachrâm — eux qui m’ont élevé — et de ne pas pouvoir les revoir avant quelque temps me déchire… lui confia-t-il tristement.
Élios alla s’installer à côté de Lucifer. Son regard attristé se déposa sur la boite du jeu des prises.
— Je me demande pourquoi Karachrâm était si ému de s’en séparer. Pourquoi il me l’a offerte et pourquoi il a dit que je suis plus légitime que lui à la posséder ?
— Je peux la voir ? demanda Lucifer.
Élios la lui remit et, pendant que Lucifer essayait de déchiffrer le mystère potentiel de cette boite en fouillant dedans, il se leva et commença à ranger des affaires dans un sac.
— Oh, Élios, j’ai trouvé quelque chose ! s’exclama Lucifer en découvrant une feuille pliée au fond de la boite.
Après l’avoir dépliée, il paraissait déçu en survolant son contenu du regard.
— Ce n’est qu’un simple résumé des règles… Cette boite semble ne révéler aucun secret. Toutefois, c’est quand même impressionnant que l’on puisse concevoir de telles choses avec autant de précision. Je ne pensais pas cela possible. Le monde doit nous réserver beaucoup de surprises. J’ai vraiment très hâte de tout découvrir. Mais, ce que je souhaite le plus savoir, c’est pourquoi tu as grandi ici, à l’écart des Humains. J’espère que nous obtiendrons des réponses puisque les Bous, eux, refusent d’en discuter avec toi…
— Oui, ça fait longtemps que j’ai abandonné l’idée d’obtenir des informations auprès d’eux, se plaignit Élios. Ils ne peuvent pas me dire ou ne savent pas, prétendent-ils… Bref, finissons de nous préparer avant que ce soit l’heure du piquenique de départ.
Lucifer se leva et les deux enfants ne discutèrent plus. Ils fouillèrent la chambre dans son entièreté pour en mettre les choses les plus utiles ou importantes dans le sac posé sur le lit, sans avoir besoin de se concerter.
Au même instant, à l’extérieur, un jeune Bou sortit de chez lui, portant un sac sur son dos et marchant furtivement.
Contrairement à la majorité des Bous du village, il présentait une peau claire plutôt que brune. De même, ses longues branches qui sortaient de son crâne, de ses coudes et de ses genoux étaient beiges plutôt que marrons. Quant à son fin et joli masque en bois naturellement attaché à son visage, il était couronné par deux feuilles de fougère, chose rare.
Discrètement, il essayait de se frayer un chemin sur la place de Boubois qui était anormalement mouvementée. Les Bous s’activaient à la vider de tous ses stands et étalages. Un imposant et robuste chef des gardes, reconnaissable par son large foulard en bois sculpté autour de son cou, coordonnait des gardes Bous sous sa directive.
— Vous devez faire encore plus d’espace sinon le vaisseau Humain ne pourra pas atterrir ici ! leur exigea-t-il.
Les gardes, eux aussi reconnaissables par un foulard, déployèrent leur aura — une énergie contrôlable au moyen de l’esprit. Grâce à celle-ci, ils déplacèrent des meubles et autres objets qui constituaient initialement un marché sur cette place.
— Je n’aimerais pas être à la place de Moshi à devoir tout coordonner, se chuchota le jeune Bou transportant son sac.
Il se faufila entre les gardes, mais il fut interrompu dans son trajet par un gros et jovial Bou aux petites jambes et aux petits bras.
— César, que fais-tu ? l’interpela ce dernier.
— Professeur, Tompa ! sursauta César. Je… J’apporte ce sac à Élios, je pense qu’il en aura besoin lorsqu’il quittera le village ce soir.
César avait prononcé ces paroles avec une mine incertaine qui ne trompa pas Tompa.
— Te connaissant si bien, je vois que tu me mens, César, le réprimanda-t-il.
— C’est un secret que je dois garder, se défendit César. L’annonce doit vous être faite au piquenique de départ.
— Quelle annonce ? s’intrigua Tompa.
— Je ne peux rien dire ! rétorqua César avec inconfort.
— Soit, mais ne dérange pas les opérations qui sont en cours ici.
— Je vais faire attention, promit César. À tout à l’heure !
César saisit de nouveau les sangles de son sac et, sous le regard amusé de Tompa, il se dirigea vers un immense arbre dont les racines-contreforts entouraient la place. Cet immense arbre comportait à sa base une large porte à deux battants permettant de se rendre en son fort et que César emprunta.
César arriva dans le hall où se trouvait précédemment Élios. Là, il fut surpris d’y voir un Bou travaillant à une table et portant un foulard autour de son cou. Il ne s’agissait plus de Karachrâm, mais d’un tout autre Bou qui était grand, beau, musclé et confiant.
— Okonor, tu n’es pas dehors à aider les autres gardes ? le questionna César gêné.
— En tant qu’apprenti chef des gardes, ma fonction est différente des autres ce jour, expliqua Okonor. Je remplace Karachrâm sur une tâche.
César, embarrassé, chercha à masquer les lanières de son sac, mais Okonor porta ses yeux sur celui-ci.
— C’est un sac pour Élios, tenta de se justifier César.
— Pas la peine de me mentir, rétorqua Okonor. Je suis au courant que tu vas aussi quitter le village.
— Mais c’était censé être secret ; je devais le dévoiler pendant le piquenique ! se plaignit César surpris et déçu.
— Connaitre les secrets du village, c’est un des privilèges à être apprenti chef des gardes, s’amusa Okonor.
— J’ai hâte ! brilla soudainement des yeux César. Tu t’en rends compte, Okonor ? Je vais marcher sur tes pas ! Tu es le seul Bou ayant quitté le village avec Karachrâm et cela remonte à treize ans, n’est-ce pas ?
Mais Okonor sembla se lasser et se désintéressa de César. Il pencha son regard sur une feuille et se mit de nouveau à écrire.
— Peut-être que je combattrais comme toi un monstre ! continua César. C’est comme ça que tu nous as tous sauvé de la prophétie qui annonçait que ce monstre allait ravager le village, n’est-ce pas ? Elle disait quoi déjà, cette prophétie ? Ah oui ! « Dans une chaleur insoutenable, l’arbre se consumera. Du haut de sa cime, une vieille branche s’effondrera. Portées en un autre lieu, ses graines germeront. Guidées par un jeune rameau, elles se vengeront. »
Okonor ne porta toujours pas son attention à César.
— Peut-être que tu pourras enfin me dire comment et pourquoi tu es revenu avec Élios ? s’enquit César.
— Cesse de m’importuner s’il te plait, j’ai beaucoup de travail à faire, coupa Okonor sèchement et sans lever les yeux.
Blasé, César se résigna.
— Bien… à tout à l’heure, au piquenique alors, laissa César.
Il emprunta l’escalier en bois qui le mena à un l’étage ouvert sur le hall. Là, il entendit une voix à travers une porte. César prêta une oreille attentive, mais plus rien. Il frappa alors à la porte et entra.
Lucifer avait subitement disparu, il n’y avait plus qu’Élios dans la chambre lorsque César arriva près de lui.
— Je t’ai encore entendu parler tout seul, affirma-t-il. Tu es vraiment étrange lorsque tu t’y mets !
— Peut-être qu’un jour tu me croiras à propos de Lucifer, espéra Élios. Je te rappelle que tu es le seul à qui j’ai confié son existence.
— Jusqu’à présent, je ne l’ai jamais vu, ton Lucifer, nargua gentiment César. On a tous plus ou moins un ami imaginaire.
Il enleva son bagage et le balança sur le lit.
— À quoi sert ce sac ? l’interrogea Élios avec incompréhension. Pourquoi tu le poses sur mon lit ?
— C’est le mien, répondit César avec amusement. Je regroupe nos affaires.
— « Nos affaires » ?
— Installe-toi, conseilla César en pointant le lit du doigt. Tu n’es pas prêt à entendre ce que j’ai à te dire.
Élios s’assit sur le lit et devint attentif à César.
— D’abord, regarde-moi bien. Tu vas voir, c’est surprenant !
César se concentra longuement, puis Élios aperçut un phénomène inattendu. Les attributs végétaux de César décrurent progressivement. La mousse sur son crâne se transforma en cheveux mi-longs châtain clair et son masque s’effaça jusqu’à rendre visible un visage humain et qui présentait de petites taches de rousseur. Seuls restaient à présent de végétal sur César sa couronne de fougère et ses ongles en bois. Sans ces derniers, il aurait ressemblé en tout point à un Humain.
— Tu as vu ça Élios ? l’interpela-t-il en pinçant une mèche frontale et en la tirant vers ses yeux. C’est étrange d’avoir des cheveux !
Élios ne porta pas attention aux cheveux de César, mais s’intéressa plutôt à son visage humain.
— César… C’est vraiment surprenant ! Comment as-tu fait ça ?
— Il y a quelques mois, lorsque j’ai appris que tu allais partir, je me suis dit que tu étais chanceux et je voulais venir avec toi. Cependant, c’était impossible puisque je ne suis pas Humain. Je me suis alors imaginé en être un et j’ai ressenti une sensation étrange… Plus je me concentrais sur l’apparence que je pouvais avoir, plus la sensation s’amplifiait. J’ai recommencé plusieurs fois en cherchant à intensifier cette sensation qui se répliquait en différents endroits, mais toujours au niveau de mes attributs végétaux. Et un jour, je les ai vus diminuer. Par entrainement, j’en suis arrivé à là. Bon, ce n’est pas parfait ; je ne parviens pas encore à faire disparaitre mes fougères. Cependant, j’ai montré ce premier résultat il y a quelques semaines à mes parents et à Karachrâm. Ils m’ont expliqué que c’est de la Métamorphose, une technique de maitrise de l’aura. Et puisque je peux maintenant prendre une apparence humaine, je leur ai demandé si je pouvais t’accompagner en dehors de Boubois !
— Alors, que t’ont-ils répondu ?
— Si mon sac est ici, c’est qu’ils ont dit oui ! informa César enjoué. Je viens avec toi ce soir !
— César, c’est vraiment génial ! s’exclama Élios comblé de bonheur.
— J’ai juste promis que je parviendrai à faire disparaitre ces fougères avant qu’un Humain ne me voie. Personne ne se doutera que je suis en réalité un Bou !
On frappa de nouveau à la porte. César reprit rapidement son apparence de Bou tandis qu’Achraëlle entra, portant un panier d’osier rempli de mets et d’un drap.
— Élios, as-tu fini de préparer tes affaires ? demanda-t-elle ? Oh, bonjour, César ! Pouvez-vous tous les deux commencer à mettre en place le piquenique, s’il vous plait ?
— Pas de soucis, Achraëlle répondit Élios qui récupéra le panier.
— Allons-y immédiatement, proposa César.
Ils quittèrent tous deux la chambre puis sortirent du grand arbre.
Élios et César traversèrent la place à présent vide. Ils coupèrent par les jardins décorés avec harmonie entre les charmantes habitations du village. Celles-ci étaient construites au moyen de branches entrelacées et combinées avec de la terre glaise pour les murs et du feuillage pour les toits. Après quelques minutes, ils atteignirent des champs de culture puis un bois qui entourait le village. Ce bois constituait un lieu agréable. Les éléments y étaient parfaitement défrichés, agencés et soignés. C’est à un endroit de celui-ci qu’ils s’arrêtèrent.
— C’est ici que se tiendra le piquenique, informa Élios.
Ils sortirent les éléments du panier et les disposèrent sur le drap qu’ils étendirent au sol.
— Plus qu’à attendre les autres ! nota Élios.
— Je pense que nous avons pas mal de temps devant nous, fit remarquer César. J’ai une idée pour nous occuper d’ici là !
César, avec un air enfantin, entraina Élios avec lui jusqu’à de fébriles barrières derrière lesquelles de nombreux buissons et arbustes empêchaient de voir au-delà. Ces barrières marquaient la limite de Boubois.
— J’ai vraiment envie de découvrir ce qu’il y a derrière, même si cette limite me fait peur, confia César. Sachant que c’est notre dernier jour ici, j’aimerais bien que l’on tente, qu’en penses-tu ?
— C’était donc ça ton idée ? réprimanda Élios. C’est formellement interdit par le conseil de franchir la limite de Boubois.
— Oh, allez Élios, juste un court instant ! insista César avec déception. Personne ne saura ! Au pire des cas, ils ne pourront même pas nous punir puisqu’on ne sera plus là ce soir ! Ce serait bête de ne pas découvrir ce qu’il y a derrière pour notre dernier jour. On ne le regrettera pas !
— C’est dangereux…
— Je suis sûr que ce n’est pas vrai ! C’est juste une rumeur pour nous donner la frousse et pour nous empêcher de la traverser. Et puis, ne t’inquiète pas ; on n’ira pas très loin et un court instant seulement. S’il nous arrive quelque chose, on n’aura qu’à revenir rapidement !
Élios resta perplexe puis relâcha son visage en une expression amusée.
— J’admets que j’ai bien envie de la traverser aussi… admit-il.
— Alors tu es partant ? Je passe devant !
César s’élança heureux vers la limite, mais s’arrêta à un pas de celle-ci, sa nature de Bou reprenant le dessus.
— Euh, tout compte fait, vas-y plutôt toi d’abord, se résigna-t-il apeuré.
Élios prit les devants, suivi de près par César, mais lorsqu’il commença à passer un pied par-dessus les barrières, César le freina.
— Es-tu sûr ? s’inquiéta-t-il.
— Allez, un peu de courage César ! C’est surtout toi qui le voulais.
César se remotiva, puis ils traversèrent la limite.
Élios et César se retrouvèrent tous deux émerveillés, la bouche béante.
— Voici donc la Forêt Éclairée ! constata César avec fascination.
Les arbres devant eux avaient une dimension deux à trois fois supérieure à la normale. Bien qu’immenses, ils n’empêchaient pas la Forêt Éclairée d’être assez clairsemée. Des rayons de soleil traversaient la canopée et se projetaient sur le sol et sur les rochers granitiques où poussaient mousses et fougères. Le tout offrait de jolies variations de teintes grises, jaunes, vertes et brunes.
— Élios, Boubois a disparu ! s’inquiéta César après s’être retourné.
Une vaste prairie vide avait effectivement pris place au lieu de Boubois.
— C’est l’enchantement de la limite qui doit agir, rassura Élios. Tu t’en souviens, non ? Tompa nous a appris que cet enchantement empêche de se rendre à Boubois ceux qui n’en connaissent pas l’existence et qui ne sont pas accompagnés de personnes qui le peuvent. Cet enchantement doit surement masquer Boubois dans tous les cas.
— Donc, tu penses qu’on peut y retourner ? se calma César. Je vais essayer.
En avançant dans la prairie, César disparut d’Élios. Quelques secondes après, il réapparut le pouce en l’air.
— C’est bon ! dit-il rassuré.
César souffla puis balaya du regard les environs.
— Tu vois Élios, il n’y a rien de dangereux. On devrait en profiter maintenant. Regarde comme c’est beau ! Tu te rends compte de ce qu’on aurait raté si l’on n’avait pas tenté le coup ?
Élios confirma d’un hochement de tête.
Ils inspectèrent les environs, devant parfois traverser de petits ruisseaux desquels s’évaporaient des écumes d’aura. Par instants, ils étaient surpris de voir certaines espèces animales, certains insectes ou encore certains végétaux dont ils ne soupçonnaient pas l’existence.
— Et dire que ce n’est qu’une partie du monde ! s’émerveilla César.
En marchant plus loin, ils atteignirent un lieu étrange où des roches ressemblaient à des visages au milieu d’amas de briques et de barbelés. L’ensemble ne rassurait pas César.
— Euh, Élios… Et si l’on faisait demi-tour ? Il commence à faire tard, tu ne crois pas ? Et puis… Ces grosses pierres… Elles me foutent la trouille !
Mais soudain, un grand flash éblouit Élios et César l’instant de quelques secondes. Lorsque César réouvrit les yeux, Élios avait disparu.
— Élios, où es-tu passé ? tenta-t-il de l’interpeler d’une voix nouée et timide. Élios revient, ce n’est pas drôle !
Mais Élios ne revenait pas et César se sentait de plus en plus observé par les visages des pierres. Un frisson parcourut son corps.
— Il va revenir et moi… Et moi, je suis courageux, je vais l’attendre ici, ou plutôt là-bas derrière cet arbre, loin de ces monstres en pierre terrifiants, se murmura-t-il pour se rassurer.
Au moment du flash, une aura était apparue de nulle part et avait entrainé Élios plus en profondeur dans la Forêt Éclairée. Elle le lâcha en disparaissant. Élios bascula et se retrouva allongé à plat ventre dans une flaque de boue. Après avoir laissé s’échapper un « aïe », il redressa la tête et vit se matérialiser devant lui Lucifer qui riait jusqu’à en pleurer.
— Te voilà tout propre ! ironisa-t-il.
— Qu’est-ce qu’il vient de se passer ? demanda Élios tourmenté.
— Je ne sais pas, répondit Lucifer. Mais ce que je sais, c’est que tu ne vas pas faire bonne impression comme ça auprès des Humains qui vont venir te récupérer ce soir.
Mais soudainement, Lucifer s’arrêta de rire.
— Qu’est-ce qu’il y a ? s’inquiéta Élios remarquant que quelque chose intriguait Lucifer.
À la façon des bulles qui se forment à la surface d’une eau en ébullition, de telles bulles d’une couleur ténébreuse déformaient l’apparence de Lucifer.
— Lucifer ! hurla Élios effrayé.
Les bulles s’en détachèrent pour former une grosse masse volante à dix mètres d’eux. Durant un court instant, la forêt semblait morte. Aucun bruit ne se faisait entendre, aucun signe de vie ne se faisait voir.
Très peu serein, Élios se redressa, mais au même moment et soudainement, un vent puissant entraina, à partir des horizons et jusqu’à la masse sombre, des feuilles mortes et des particules noires et violettes. Du sol se dégagea une fumée d’aura noirâtre qui rejoignit également le tout. Une chose se formait, une sorte de vieil Homme-Monstre. Il présentait un corps nu, affreux, déformé et qui manquait par endroits de peau, de chair et de muscles. Son visage semblait fondre au milieu de sa barbe. Ses yeux verts et ensanglantés se dirigèrent vers Lucifer.
— Approche ! lui lança-t-il d’une voix rauque.
Les deux enfants furent terrifiés. Lucifer disparut en une fraction de seconde tandis qu’Élios commença à courir en contresens. Cependant, l’Homme-Monstre tendit la main vers lui, puis projeta au moyen de celle-ci de l’aura ténébreuse pour le neutraliser. Atteint à la tête, Élios tomba au sol, inconscient.